Au Kunstmuseum de Berne – II.
1967
L’exposition Beat Zumstein ouvre le 21 janvier 1967, pour un mois, dans les espaces modestes du sous-sol du Kunstmuseum. Elle est structurée de façon chronologique, et veut révéler l’évolution naturelle, « organique », de l’art de Beat, qui se prête merveilleusement à l’exercice.
Le bref essai introductif de Hugo Wagner dans le catalogue de l’exposition l’exprime parfaitement :« Le Kunstmuseum offre l’hospitalité à un peintre qui s’est affirmé, malgré toutes les difficultés, dans la ville aux innombrables artistes, créateurs et galeries d’art. Entièrement livré à lui-même, parfois soutenu par quelques collectionneurs français, Beat Zumstein travaille sans relâche à une œuvre qui se caractérise par un développement organique et continu. (…)
Se fiant davantage à son instinct qu’à l’expérience et au matériau, il a découvert très tôt – alors qu’il travaillait la sculpture – une sûreté du dessin et du rythme, qui se révèle aussi bien dans ses gravures sur bois expressionnistes ainsi que dans ses peintures selon diverses techniques. L’humain, et plus encore le grand paysage ont déterminé l’art de Zumstein dès le début. Qu’un tableau soit reconnaissable au sens figuratif, ou qu’il se soit détaché de son modèle, il s’agit généralement d’une conversion d’impressions visuelles, d’images mémorielles dont les rythmes et les mélodies colorées sont ramenés au présent, et redeviennent ainsi réalité. »
Ont été sélectionnées pour l’exposition 42 toiles, des huiles et des tempéras, exposées selon un ordre chronologique, de 1951 à 1956, à raison de une à quatre œuvres par année. Cette progression rend évidente l’évolution harmonieuse et continue de la peinture de Beat. Sont également présentées des séries d’aquarelles abstraites très homogènes, de 1960 à 1964, majoritairement inspirées par les séjours de Beat au Lac de Garde : « Autour d’Idania », 14 aquarelles, 1960, 1961, 1962 ; « Le Monte Luppio », 11 aquarelles, 1960, 1962, 1963 ; « Punte San Vigile », 4 aquarelles de 1962/1963. Enfin une sélection de 8 gravures sur bois de 1949-1950 illustre cette période de la création de Beat, ainsi qu’une seule et unique sculpture, la « Judith » recouverte d’aluminium, prêtée par Yves Vidal.
Au sein de cet ensemble, il est une œuvre dont l’inspiration et le style tranchent franchement sur son entourage. Peint en tempera, haut de trois mètres sur 1m20 de large, ce « Vitrail (Petruskirche Bern) » de 1963 n’a rien à voir avec les œuvres produites par Beat à la même époque – on dirait plutôt une œuvre de 1953 … On peut se demander (à l’instar de certains journalistes de l’époque) ce que cette œuvre atypique pouvait bien faire dans cette rétrospective – et pourquoi figurait-elle dans le catalogue, parmi les quatre seules œuvres reproduites. Une lettre de son père à Beat, datée du 19 mars 1967, soit un mois après la fin de l’exposition, éclaire quelque peu cette affaire : « Et maintenant, « ce que j’ai toujours voulu dire » : Maman et moi te recommandons très vivement d’accepter la commande des vitraux de la Petruskirche. Après tout c’est un travail lucratif, et par la suite, le moment venu, tu pourras obtenir la commande des vitraux restants (très probablement, à mon avis). Ce serait un comble, si la v. M.[ ?] se trouvait obligé de s’aligner sur ton projet ! Sic ! » Beat travaille donc à ce projet de vitrail pour la Petruskirche de Berne depuis 1963, date de cette esquisse. La Petruskirsche est une église réformée achevée en 1949, et située au sud-est de la capitale. On peut supposer que le Kunstmuseum aura joué un rôle actif dans cette commande potentielle, et que la présence d’une maquette des vitraux dans l’exposition de 1967 et dans le catalogue aura joué un rôle stratégique dans cette négociation.
Et pour pousser encore plus loin les suppositions, on peut imaginer que Beat aura défendu une attitude maximaliste, c’est-à-dire une commande immédiate de tous les vitraux, alors que son père plaidait pour une tactique plus progressive, un vitrail à la fois. Ce dernier aura eu raison, car finalement Beat ne réalisera aucun vitrail pour la Petruskirche, et se sentira (injustement) trahi, notamment par le Kunstmuseum et par Hugo Wagner. Ce contentieux aura par la suite des conséquences désolantes …