La Tour de Nesle

1978

Paradoxe s’il en est : pour contredire ce portrait misérabiliste, la prochaine exposition de Beat, du 8 au 30 février 1978, se tient chez un prince tout ce qu’il y a de plus authentique.

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Thibaut Louis Denis Humbert Marie d’Orléans est le cadet des onze rejetons d’Henry d’Orléans, Comte de Paris et prétendant au trône de France sous le nom d’Henry VI – l’autre prétendant est un Bourbon. Prince rebelle, Thibaut provoque l’ire de son père, d’une part en arborant une moustache « à la guérillero » et des cheveux mi-longs, ensuite, en frayant en mai 1968 à Nanterre avec les étudiants en révolte, et enfin en épousant une roturière d’origine Chiléno-Ecossaise. Furieux, le Comte de Paris éjecte Thibaud de l’ordre de succession et lui coupe les vivres. Pour subsister, le prince et son épouse signent en 1973 et 1974 une série de romans historiques qui ont un certain succès, et achètent une galerie d’art située rue de Nesle, une voie toute médiévale non loin de l’ancienne tour de Nesle, et nommée justement « La tour de Nesle », un nom de mauvais augure pour la monarchie française depuis Philippe le Bel. Les curieux pourront se repaitre sur Google des malheurs singuliers du Prince, mais ceci n’est pas du tout notre Histoire …

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La Tour de Nesle et son quartier, vers 1500

Cela dit, il y a fort à parier que Beat ait eu davantage affaire à Jacques Bonnaud, copropriétaire et directeur de la galerie, qu’avec Thibaut d’Orléans, président, dont le travail, selon Bonnaud, se limitait strictement à serrer des mains.

L’espace de la galerie est vaste et singulier : une enfilade de hautes salles voûtées, des murs en pierre, avec de temps à autres des niches marquant la place de passages murés, entre le cellier et la catacombe. La peinture de Beat « habite » à merveille ce décor. Son choix est particulièrement cohérent pour une rétrospective : deux architectures « cubistes » de 1956 (« Toledo » et « Ségovie »), une salle pour les premières œuvres abstraites de 1960-63, un large choix – 6 toiles – des « concrétions rouges » de 1969-70, et enfin un ensemble plus vaste encore de ses travaux les plus récents, de 1973 à 1977.

Pour l’occasion Yves Vidal a prêté sa statue « Judith » en aluminium. Selon Jacques Bonneau, ce même Vidal aurait mécéné toute l’opération, y compris pour le vernissage de l’exposition un véritable spectacle de cirque, avec jongleurs et chèvres savantes. Tout se passe à merveille, mais quelques jours après l’ouverture Beat, sans doute très alcoolisé, s’amuse à uriner sur les murs de l’exposition.

En cette année 1978, les nuages noirs s’accumulent sur le destin de Beat. Les perspectives de ventes ou d’expositions se font rares, et l’argent manque à a maison, malgré le bon salaire que touche Colette. Il est entendu que Colette assure le quotidien (et les extras), Beat se chargeant uniquement de ses couleurs, de son tabac, et du loyer de son atelier. Il y a dans la bibliothèque de l’appartement familial une boîte, sur la dernière étagère, où Colette place une somme correspondant aux dépenses de la semaine. En cas de besoin, Beat peut se servir dans cette boite. Mais de plus en plus souvent, en cours de semaine, Colette retrouve la boîte vide. Elle finit par cesser de l’alimenter. Beat devient-il de plus en plus colérique, voire agressif. Finalement, dans le courant de l’année 1978, Colette prie Beat de quitter le domicile familial.

Beat s’installe donc dans l’atelier de la rue Saint Honoré, et dans un premier temps, sa vie ne connaît pas de bouleversement majeur, sinon un isolement de plus en plus pesant que seule la convivialité facile des bistros parisiens vient soulager. La garde des enfants s’arrange en bonne intelligence avec Colette, mais ses besoins d’argent chroniques creusent irrémédiablement le fossé entre le couple – les doses d’alcool qu’il lui faut pour supporter l’humiliation de ces demandes répétées le rendent agressif, et trop souvent les enfants se retrouvent à jouer le rôle de médiateurs.

Les tableaux en cours n’avancent pas, et l’année 1978 s’avère particulièrement stérile. En 1979 enfin, Beat retrouve un second souffle, une de ces « nouvelles manières » dont il est coutumier. A partir du même chaos géométrique qui caractérise la période précédente, elle est marquée par un trait plus doux et flouté, et surtout une alliance dominante et très lumineuse du bleu et du blanc. De plus en plus, un substrat figuratif réapparait, et cette tendance va s’accentuer avec le temps ; le plus souvent, on devine un paysage de moyenne montagne sous un ciel bleu – comme une réminiscence du pays natal.

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