Au Kunstmuseum de Berne – I.
1967
Une autre grande affaire occupe Beat à partir du milieu de l’année 1966 – mais sans doute a-t-elle été discutée et préparée dans le courant de l’année 1965 : il s’agit d’une exposition personnelle et rétrospective au Kunstmuseum de Berne, prévue pour le mois de février 1967. On ne saurait surestimer l’importance de l’événement pour Beat à ce stade de sa carrière, alors qu’on ne peut plus guère le considérer seulement comme un artiste prometteur : une exposition dans un des principaux musées de Suisse est une incontestable confirmation.
Architecte du projet, Hugo Wagner, conservateur, puis directeur du Kunstmuseum de 1965 à 1980, connait Beat depuis ses premières expositions bernoises des années cinquante, et c’est lui qui fait acheter par le Musée les premiers dessins et gravures sur bois qu’il possède, ainsi que plusieurs autres tableaux par la suite. Les relations de Beat avec le Musée de Berne sont d’assez complexes pour justifier un petit récapitulatif :
- En février/mars 1950, la Kunstgesellschaft, une association liée au Kunstmuseum, achète un dessin et une gravure lors de l‘exposition à l’Anlikerkeller : Die Gasse, 1950, gravure polychrome, inv. S 6347, et Die Kathedrale von Rouen, 1949, crayon, inv. A 7683.
- En 1959, Beat offre au musée une huile de 1957, Küstenlandschaft (paysage côtier) (inv. n°1860), n°9 de l’exposition de 1967.
- En 1963, Karstreise, une huile de la même année, est acquise par le musée auprès de l’artiste pour 3.000 FS, et reçoit le n° d’inv. 1903.
- En octobre 1965, le musée acquiert une huile et tempera sur toile de 1963, Pierre-Perthuis (inv. N°1960), n°24 de l’exposition de 1967. En fait l’œuvre fait l’objet d’un échange auprès de l’artiste contre Karstreise, inv. 1903, rendu à l’artiste, plus une somme de 1.000 FS.
- En 1967, Beat offre Karstreise, re-titré Paysage, au Kunstmuseum, qui lui donne cette fois le n°inv. 2142. On reparlera de cette œuvre, malheureusement …
- En 1970 le Musée édite un calendrier illustré de peintures de ses collections, où Pierre Pertuis de Zumstein côtoie Kandinsky, Klee, Matisse, Utrillo, Vlaminck…
On le voit, les dons de Beat au Musée de Berne sont souvent acceptés, ce qui n’a rien d’évident, et l’Institution fait également l’acquisition d’œuvres significatives, preuve d’une véritable considération. Dans ses correspondances, Beat est d’ailleurs « à tu et à toi » avec le directeur Hugo Wagner, qui est également commissaire de l’exposition de 1967: « Cher Beat, écrit Wagner en juin 1966, je suis enfin prêt à t’envoyer la liste provisoire des prêts pour ton exposition. Je te serais reconnaissant de bien vouloir m’envoyer les dimensions des tableaux de Lemonnier et l’adresse exacte de Knoll, Bd. St. Germain. Je demanderai moi-même à la galerie Rosenberg de fournir les dimensions et les titres. Comme nous n’avons que des titres provisoires pour les tableaux, je t’invite à trouver de nouveaux titres intéressants. … » Comme on l’a signalé plus haut, Beat va effectivement inventer pour cette exposition de nouveaux titres, au risque de nous plonger dans la plus grande confusion.
L’aimable attention de Hugo Wagner est d’autant plus remarquable qu’elle implique un certain risque : à Berne, il n’est pas très bien vu d’exposer des Suisses expatriés en lieu et place des artistes locaux, et la programmation d’un Zumstein de Paris au Kunstmuseum de Berne donnera lieu à quelques véhémentes protestations. Quelques personnalités de l’art en Suisse, dont Hugo Wagner, défendront courageusement une position toute différente. C’est aussi le cas du journaliste du magazine DU, Florenz Deuchler, dans le numéro de 1959 sur les « Dulkle Pferde », dont on a déjà abondamment parlé. Ce dernier vaut d’être cité largement, tant son analyse de la situation du peintre Suisse à Paris correspond à celle de Beat :
« Vivre ici [à Paris], c’est choisir un chemin les plus difficiles ; persévérer ici, c’est accepter le défi quotidien de se mesurer chaque jour aux plus forts et aux plus fortes. L’idée malheureusement répandue en Suisse que les artistes qui s’installent sur les berges de la Seine ou en l’Ile-de-France évitent les pesanteurs helvétiques, qu’ils sont des sectaires et des traîtres, est fondamentalement erronée. Au contraire, on pourrait dire que l’on n’a pas encore appris comment promouvoir cet avant-poste, et qu’il ne suffit pas de distribuer des subventions et d’abandonner les élus à leur sort, mais que l’une des tâches les plus urgentes des autorités compétentes devrait être de maintenir ouverte cette porte sur le monde, de les aider à trouver des débouchés, de leur fournir des ateliers. » De fait, Beat va profiter de ses séjours à Berne pour mener ses dernières batailles auprès des autorités fédérales suisses, pour la préservation de son atelier de la rue de Martignac, avec l’appui logistique de sa famille, mais aussi le soutien amical et relationnel du Kunstmuseum. En vain malheureusement.