Mariage sans pièce montée
1967
De retour à Paris en mars 1967, outre le démontage de l’exposition, Beat doit affronter l’expulsion musclée de la rue Martignac, et gérer son emménagement rue de Verneuil, dans le petit appartement qu’habite Colette. Et puisque cette année 1967 est décidément fertile en événements, il s’avère que Colette est enceinte – d’une grossesse assez avancée. Sonnés, mais ravis, les deux futurs parents décident de se marier. La cérémonie sans cérémonie à lieu le 8 mai 1967, à la mairie du VIIe arrondissement de Paris. Le témoin de Beat est Michel Lemonnier, son plus vieil ami depuis l’époque de la Cité U ; celle de Colette est Josette Zarka, sa meilleure amie, professeure de psychologie clinique à Nanterre. Or ce jour là Josette Zarka se trouve prise par un psychodrame à Nanterre, tandis que Lemonnier attend en vain dans la mauvaise mairie, celle du VIe. De guerre lasse, le maire propose au jeune couple de prendre pour témoins les deux huissiers qui gardent la salle, et l’affaire est faite, sans manières et sans pièce montée. Le lendemain de la fête, Colette saute dans un train après avoir embrassé Beat, pour un séjour solitaire d’une semaine prévu de longue date à Taormina en Sicile : piscine, bains de mer, soleil, farniente.
C’est sous ces auspices ensoleillés que nait la petite Dorothée Florence Zumstein, le 8 juillet 1967. Le petit appartement de la rue de Verneuil, avec Gainsbourg et Birkin comme voisins, devient désormais bien étroit, d’autant qu’il héberge aussi les deux parents de Colette. En 1962, le père de Colette s’était résolu à abandonner l’Algérie et son commerce de meubles, et à rejoindre sa famille à Paris. Désormais Colette doit vendre la Rue de Verneuil pour installer ses deux parents dans le XIIIe arrondissement, et trouver un logement pour sa famille. C’est Beat qui déniche un appartement dans un quartier qu’on juge alors encore « malsain », par pur préjugé médiéval : le Marais. Le couple s’installe au quatrième étage du 20, rue des Coutures Saint-Gervais, juste en face du futur Musée Picasso et du jardin de l’Hôtel Salé, qui est à l’époque un pur et simple terrain vague. C’est dans cet appartement que Beat vivra toute sa vie de famille.
A partir d’octobre 1967, Beat aménage son nouvel atelier de la rue Saint Honoré, et peint les murs en blanc. Il trouve aussi le temps pour une exposition personnelle dont on ne sait rien de précis, à la Galerie 9 – Antoinette Mondon, au 9, rue des Beaux-Arts dans le VIe arrondissement, du 5 au 17 septembre 1967. Et pour clore en beauté cette année riche en événements cruciaux – une expulsion, un nouvel atelier, deux expositions personnelles, un mariage et un enfant … – Beat organise le 10 décembre dans ses nouveaux locaux une sorte de pendaison de crémaillère mondaine où défile tout son carnet d’adresses : selon son décompte, pour 250 cartons d’invitation envoyés, il vient plus de 1.000 personnes, de 19h à 2h du matin.
On y voit des galeristes, des critiques, des collectionneurs, des amateurs, on y boit du vin blanc, et surtout on y cause. Beat porte à merveille le costume, et Colette assure l’intendance. Un tel succès « parisien » illustre la position « en vue » de Beat à la fin des années soixante. C’est le fruit de son goût immodéré pour la polémique, son incontestable charisme, son positionnement esthétique résolument à contre-courant.