L’effervescence

1968

L’année 1967 était placée sous le signe d’une dynamique nouvelle, au plan personnel, artistique et mondain. Rien d’étonnant à ce que la productivité de Beat ait quelque peu marqué le pas cette année-là, avec une exposition majeure à monter, un atelier en état de siège, un mariage, une naissance, et un déménagement.

En 1968 tout est prêt, le moral ne saurait être meilleur, et les toiles abouties s’accumulent. Les dominantes sont chaudes intenses, bleues et or, rouge et or, l’inspiration évoque les terres colorées de la Crète ou de l’Espagne. Le vert, prédominant dans l’œuvre depuis le milieu des années cinquante, disparaît soudainement de la palette. Les tuilages de rectangles colorés ne structurent plus la toile, les surfaces s’étalent, se mêlent et s’enrichissent d’un travail savant de la matière, des terres et des minéraux.

Puis, au sein de cette effervescence toute printanière, survient mai 1968. Ni Beat ni Colette n’ont beaucoup de rapports avec le monde étudiant, et dans un premier temps, leur conscience des « événements » se limite aux rumeurs et aux explosions de lacrymogènes du Boulevard Saint Germain, entendues depuis leur appartement de la rue des Coutures Saint Gervais, de l’autre côté de la Seine. Cette ambiance insurrectionnelle fascine Beat, qui sort bientôt chaque nuit pour arpenter les lieux les plus chauds, mais à une saine distance de l’action, en artiste plutôt qu’en manifestant. A mesure que le Quartier Latin se transforme en un gigantesque espace de débats improvisés, Beat et Colette, chacun de leur côté comme de coutume, viennent de plus en plus souvent écouter et participer.

Avec Dorothée dans les bras, Colette rejoint l’occupation de la Sorbonne – elle est une des permanentes de la crèche improvisée. Elle fréquente aussi l’Odéon, transformé un mois durant en salle de meeting permanent, où Dorothée est applaudie par la salle comme « la plus petite révolutionnaire de l’Odéon ». Elle y croise son mari qui défend Jean-Louis Barrault, ex-directeur du théâtre, limogé pour avoir refusé de faire expulser les occupants, mais chahuté comme représentant du théâtre « bourgeois ». De meeting en débat, prenant la parole à la moindre occasion, Beat s’attaque encore et toujours aux plus radicaux, au nom d’une conception classique de l’art qu’il refuse de voir livrée aux « poubelles de l’histoire ».

Par la suite, Beat prend brièvement sa carte au PC, à l’occasion d’un prêt d’œuvre pour la fête de l’Humanité. Il ira une fois à une réunion de cellule, trouvera cela d’un ennui mortel, et se promettra de ne plus y remettre les pieds. Il entretiendra par la suite avec le Parti une relation assez molle, au moins jusque 1977. Séduit par des sirènes plus radicales – mais toujours avec une distance certaine vis-à-vis de l’activisme politique – il rompt alors avec le PC, de façon publique, goguenarde et assez spectaculaire, en vendant aux enchères sa carte du Parti aux Puces de Saint-Ouen, juché sur une caisse en bois. Et chaque fois que quelqu’un entre dans le jeu pour enchérir ou simplement intervenir, Beat rétorque de c’est absurde car cette carte à perdu toute valeur et ne vaut maintenant strictement rien. On peut donc à coup sûr dater cette scène après l’article de l’Humanité où Beat se fait qualifier de « camarade » en février 1977 (voir plus loin).