Nuages noirs, période rouge
1968-1973
Dès le mois de juillet 1968 l’effervescence retombe, et Beat, Colette et Dorothée partent en vacances : ils sont dans les Bouches du Rhône début août, et font un tour en Yougoslavie jusqu’au 22. Comparée aux années précédentes, 1969 est considérablement plus calme, et le couple en profite pour concevoir le futur petit frère de Dorothée, Michaël, qui nait en avril 1970.
Sur le front de l’Art, Beat doit se contenter d’une nouvelle présentation de ses œuvres chez Knoll – la dernière qu’il réalisera là-bas. Est-ce au cours de cette exposition qu’il décroche rageusement ses tableaux, comme on l’a déjà raconté ? Ainsi le scandale aurait sonné le glas de la cote de Zumstein chez Knoll. Ou encore, est-ce Ives Vidal qui aurait eu du mal à imposer ses goûts après le rachat de Knoll en 1967 par un financier américain, prélude à sa démission en 1972 ? Nous en sommes réduits aux conjectures, sauf à constater qu’ici commence pour Beat la série infernale des portes qui se ferment.
La production de Beat en cette année 1969 est marquée par une toute nouvelle « manière », qu’on pourrait qualifier de période rouge, puisque c’en est, avec le blanc, la couleur dominante. Au plan du motif, dominent des sortes de concrétions rocheuses blanches cernées de noir sur fond rouge, ou inversement, et dont parfois les arceaux font penser à des architectures en ruine. Beat peindra ainsi jusqu’en 1973, avant de partir dans une tout autre direction, preuve que sa vitalité artistique est intacte.
La vie quotidienne de Beat dans les années 70 et au-delà est plutôt réglée. La chronologie d’une journée est assez immuable. Colette, qui travaille comme reporter à la télévision, se réveille la première, suivie de près par Beat qui met aussitôt de la musique, des concertos de Mozart de préférence, et par les enfants. On prend un café à une vitesse record, puis Colette saute dans sa voiture, et Beat emmène les enfants à la crèche – plus tard à l’école. Quand Colette a un tournage en province, il se charge de tout. Puis Beat part pour son atelier, et peint jusqu’au soir.
Sur le chemin du retour, il s’arrête dans son café habituel, et passe au moins une heure à discuter avec les habitués et les occasionnels, tout en absorbant une dose respectable d’alcool – il aura commencé à boire dans le courant de la journée, car comme la musique, cela l’aide à peindre. Puis, le soir venu, il retrouve Colette, qui a rallié le Marais depuis les studios de Montrouge en voiture et au péril de sa vie, ramassé les enfants à la dernière minute, fait deux ou trois courses en passant, un brin de ménage, et préparé un repas simple. Beat met les pieds sous la table et raconte sa journée, même s’il n’y a rien à dire : c’est un conteur né, qui a tendance à parler tout seul, et exclusivement des sujets qui l’intéressent.
Les vacances aussi sont soumises à un rythme immuable : en juillet et en août, souvent dans une maison prêtée par des amis, ceux de Colette en général, ou dans quelque gîte rural à peu près dénué de commodités, dans les Vosges, dans le Périgord noir, en Bourgogne, en Bretagne. Régulièrement, à peine installé, Beat se prépare à repartir pour une virée solitaire à pied de trois jours au moins, tandis que Colette et les enfants l’attendent en se baignant dans des rivières et des torrents, plus rarement les piscines. Puis Beat revient voir si tout le monde va bien, et repart … Entre deux expéditions Beat s’occupe des enfants : il leur parle comme à de grandes personnes, et les fascine par sa connaissance des plantes, des papillons et surtout des pierres : géologue amateur, il transporte toujours dans son sac un marteau, au cas où par chance il dénicherait un fossile. Il en garde toute une collection sur la cheminée de son atelier, rue Saint Honoré.