Horizons nouveaux

1949-1950

En 1948, Beat met un point final à ses études. Crânement, il se déclare à partir de cette date, « autodidacte ». Rien n’est plus faux, on l’a vu, d’autant que Beat profite à cette époque de son « métier » durement acquis pour multiplier les travaux alimentaires, comme graphiste publicitaire. Mais comme artiste, c’est une vraie proclamation d’indépendance, qui vaut aussi pour sa vie intime et familiale. Elle est matériellement confortée par la Bourse fédérale pour l’art (Eidgenössisches Kunststipendium) de 2000 francs suisses que lui accorde le Gouvernement Fédéral.

Grâce à ce pécule Beat commence donc à voyager, principalement en Europe et en Afrique du Nord, à commencer par la France, Paris et Chartres en août. Au printemps suivant, en mars et avril 1949, c’est un périple en Espagne, Alicante et Grenade, puis au Maroc, à Fès, Casablanca, Meknès et Tanger, puis de nouveau en Espagne à Séville, Cordoue, Tolède, Madrid, Barcelone. En septembre 1949 il est de nouveau parti, à Paris, Rouen, Reims et Amiens. Il voyage seul, fait des rencontres qui durent le temps d’un croquis, et s’imprègne de paysages et de physionomies.

Les architectures le fascinent, les cathédrales notamment : il semble vouloir en voir le plus grand nombre possible : l’année suivante en avril 1950 il fait un véritable « tour » organisé des cathédrales gothiques d’Angleterre, Norwitch, Peterborough, Lincoln, York, Durham, Sheffield, Lichtfield, Birmingham, Worcester, Hereford, Wells. La moisson de formes, de thèmes et de sujets est considérable. Beat y puisera la matière de ses premières séries de gravures sur bois.

Il y trouvera aussi sa première grande passion esthétique, pour une Espagne réelle tout autant que rêvée, celle de la Tolède du Greco, de l’Andalousie arabe, de la figure de Don Quichotte. Tout au long de sa carrière Beat restera fidèle à cette fascination hispanique

En février 1950, Beat expose cette première moisson à Berne, à l’Anliker-Keller – la « cave Anliker ». Typiquement bernoises, ces caves accessibles depuis la rue par une trappe et un escalier en pierre raide, ont été transformées en boutiques souterraines, bars, cafés, studios, théâtres, caves à vins ou galeries d’art. Inaugurée en 1948, l’Anliker-Keller est la toute première de ces caves ouvertes au public. Spécificité de l’Anliker-Keller : l’artiste doit vendre lui-même ses œuvres et s’occuper de leur exposition ; il paye seulement un modique « loyer de cave », ce qui constitue une opportunité pour les jeunes artistes.

L’invitation annonce : « Bildhauerei, Holzschnitte, Zeichnungen aus Frankreich, Spanien, Marokko” (Sculptures, gravures dur bois, dessins, de France, d’Espagne et du Maroc) – mais on l’a vu, les sculptures n’ont pas grand rapport avec les voyages de Beat. Les dessins et gravures en revanche reflètent exactement ses visions et ses rencontres : visages, paysages, cathédrales, les plus marquants étant repris en gravure à partir d’un dessin préalable, saisi sur le vif.

La presse bernoise est élogieuse : « Son trait est fluide et puissant, il est entièrement placé au service de la conquête des conditions spatiales et plastiques. Son assurance rythmique lui permet de se rapprocher de l’objectif d’une maîtrise complète de la forme. » (Berner Tagblatt, 19 février 1950).

« Même dans la ligne délicate propre à l’art graphique, un véritable talent plastique commence à se manifester. L’expressivité nait ici d’une expérience honnête, personnelle et originale ; le surréalisme et les idées abstraites, qui aujourd’hui font obstacle au sérieux de nombreux jeunes talents, est agréablement absent de cette sculpture et de cet art graphique, qui exprime et qui innove dans une participation passionnée à la réalité, et dans une lutte constante. » (Bund, février 1950)