Exil volontaire

1951

Dans le courant de l’année 1951, Beat prépare un long séjour à Paris, grand classique du cursus post-études de l’artiste suisse. Dans les années 1950, Paris était encore considéré comme la Mecque de l’art. Les artistes suisses y venaient non pour fréquenter une école ou travailler dans l’atelier d’un artiste à succès, mais plutôt pour positionner leur art sur le marché international, ou pour se confronter aux tendances actuelles. Rien d’étonnant donc à ce que les parents de Beat cautionnent sans difficultés un tel projet, y compris financièrement.

ZUM 04DES3 003 Paris 1949
Ausblick von Notre-Dame, septembre 1949 (g) – Vue depuis Notre-Dame, vers l’Est, Carte postale (d)

Quant à Beat, on imagine son enthousiasme d’avoir enfin la bride sur le cou et d’échapper à l’atmosphère bernoise, quelque peu plombée. Un petit mois après son exposition à l’Anlikerkeller, en mars 1951, le voici sillonnant la banlieue parisienne à la recherche d’un atelier. Il en trouve un à son goût à Gif-sur-Yvette, et signale à ses parents qu’il s’y rend à vélo depuis Paris : l’atelier n’est probablement pas habitable, puisqu’il doit chercher à loger dans la capitale.

En avril, débarquement des parents qui viennent voir comment vit leur rejeton, et se font photographier, affreusement guindés, devant la Tour Eiffel, le Louvre, l’Arc de Triomphe, etc. Et les mois passent : un voyage à Brest et Saint Malo en juillet, « en auto » comme Beat le signale dans une carte à ses parents. Un petit mystère ici : puisque Beat ne passera jamais son permis, qui conduit ? Meret, peut-être – pour autant qu’elle et Beat se trouvent à Paris en même temps, ce qui est possible, mais non attesté ?

Au fil des cartes postales, la situation semble se tendre : « Bin heute in Paris Angekommen. Schikt bitte noch etwas Geld » (Arrivé à Paris aujourd’hui. S’il vous plaît, envoyez encore un peu d’argent – 28 juillet 1951) ; „Schickt bitte neben beschriebenem Papier noch etwas, Pulver, ich muss viel Materige haben, denn sonst verhungene ich (auch Essmaterial)“ (Chers parents, envoyez-moi davantage du papier que j’ai décrit, de la poudre ( des pigments ?), j’ai besoin de beaucoup de matériel, sinon je crève de faim (et aussi de la nourriture) – 1er août 1951). A lire ces quelques cartes, on déduit que Beat aura voulu se remettre à travailler le plus vite possible, probablement pour quelques nouvelles gravures sur bois, sa passion du moment, et aussi un moyen facile de produire quelques revenus. Il envisage également d’exposer, et demande à ses parents de lui faire envoyer ses sculptures.

C’est à Paris que Beat apprend sa nomination pour une nouvelle bourse fédérale suisse (Eidgenössisches Kunststipendium), décernée en novembre, qui améliore nettement sa situation matérielle. A la fin de l’année, il est de retour à Berne, et il expose sept gravures à l’Exposition de noël de la ville voisine de Thun, du 9 décembre 1951 au 13 janvier 1952. Significativement, le catalogue le présente comme : « Beat Zumstein, Berne-Paris » A cette occasion la ville de Thun achète pour son musée une des dernières gravures « espagnoles » en date de Beat, « Blinder » (l’aveugle), pour 160 Frs. Ces bonnes relations avec la municipalité se poursuivront avec la commande en 1953 d’une fontaine pour les jardins de l’église du quartier de Lerchenfeld, livrée en 1955, et le prêt en 1955 de la statue « Marabout », suivie de son achat en 1957.