Conquérir Paris
1952
En janvier 1952, Beat est de retour à Paris. Il emménage au 6, rue Laferrière, dans le IXe arrondissement, près du métro Saint-Georges, et toujours à plusieurs kilomètres de Gif-sur-Yvette. On a du mal à imaginer comment l’artiste parvient à gérer les aller-et-retour entre son domicile et son atelier. Bien plus tard, il confiera que la raison principale de son abandon de la sculpture a été l’impossibilité de trouver sur Paris un atelier compatible.
Il s’investit donc plus que jamais dans la gravure polychrome sur bois, non sans difficultés pratiques : « Lieber Papa. Herzlicher Dank für deine gutgemeinte Sendung Papier, die ich nicht wünschte. Zahlte 700 Fr Zoll. Habe jetzt noch 200 + muss (…). Das Papier ist werflos + unbrauchbar. Es wäre mir lieber, wenn du meine diesbezügl. Weisungen respecktierfest. » (« Cher Papa. Merci beaucoup pour ton envoi de papier bien intentionné, que je n’avais pas demandé. J’ai payé 700 Fr de droits de douane. Maintenant il ne m’en reste plus que 200 (…). Le papier ne vaut rien + inutile. Je préférerais que tu respectes mes instructions à cet égard. Je t’embrasse, Beat » – avril 1952)
Au printemps, on retrouve Beat à Berne pour une troisième et dernière exposition à l’Anlikerkeller, du 18 mai au 15 juin 1952. Sous le titre “Neue arbeiten aus Toledo und Paris von Beat Zumstein” (Nouveaux travaux de Beat Zumstein, Tolède et Paris), l’artiste présente des dessins, des gravures, mais aussi, grande nouveauté issue de son travail parisien, des huiles sur toile. Aucune sculpture : elles sont restées à Paris.
La presse, élogieuse et sympathique, relève l’évolution de Zumstein à l’occasion de ce nouveau « rendez-vous » : « Cette fois-ci, il ne nous présente pas les impressions fugaces d’un voyage d’étude, mais plutôt il jette l’ancre dans les villes qui l’accueillent, se rapprochant inévitablement et instinctivement des classes sociales les plus basses. L’habitant des bas-quartiers, le fugitif, le sans-abri, est devenu son voisin. Comme l’exige l’Écriture, son attention s’est rapidement dirigée vers ces personnes, souvent marquées par le destin, ces individus à la lisière du paysage rude de la vie. » (Berner Tagwacht, mai 1952).
Outre le petit peuple de Tolède dont Beat a gravé plusieurs croquis du printemps 1949, le critique fait sans doute allusion à une série de « vagabonds » aux traits davantage parisiens qu’espagnols, que Beat a dessiné en 1949 ou 1951 au cours de ses errances dans la capitale.
Dans Bund du 25 mai 1952, en revanche, un article à priori sympathique accumule les malentendus : « On le voit aujourd’hui revenir de Tolède et de Paris, où il est allé l’année dernière en tant que boursier bernois ; et on assiste à une évolution artistique tout à fait habituelle : un jeune artiste part au-delà de nos frontières – principalement dans le monde roman – fait l’expérience de paysages et de gens nouveaux. Il se maintient au sommet de ses capacités, il connait des années laborieuses et pleines de privations, et sous le signe de l’unique but de sa vie, il permet à son art de se déployer et s’approfondir.
Zumstein poursuit cette ligne de conduite avec passion et, pourrait-on dire, esprit de sacrifice ; par exemple, cette fois, il a renoncé à la sculpture. Il se concentre sur la figure humaine à travers deux techniques de représentation : les gravures polychromes sur bois et la peinture à l’huile. Il a également amorti la vague d’Eros qui avait auparavant balayé son art dans la tempête ; le visage comme expression de l’être humain et du destin est désormais au premier plan de sa représentation, et une éthique cohérente en découle. »
Or il n’est pas vrai que Beat « revient » de Paris, puisqu’il s’apprête à y retourner – et pour longtemps. Il n’est pas sûr non plus que l’ethos héroïque et typiquement protestant de travail et de sacrifice corresponde à notre artiste. Il n’est pas vrai en tout cas que l’absence de sculptures à l’exposition bernoise de 1952 soit un « sacrifice », puisque Beat les réserve en fait pour la IVe Exposition de la Jeune Sculpture, qui se tient à Paris dans les jardins du Musée Rodin du 30 mai au 30 juin 1952.